Reconnaissance de la profession
Reconnaissance de la profession de Conservateur-Restaurateur : l’expérience belge
Dès sa fondation le 9 mai 1991, l’Association Professionnelle de Conservateurs-Restaurateurs d’Œuvres d’Art (APROA-BRK) s’est mise en quête de ce qu’elle considérait comme une nécessité évidente pour la protection du Patrimoine Culturel, à savoir la reconnaissance légale de notre profession et ses corollaires directs : la réglementation de l’exercice et la protection du titre professionnel de Conservateur-Restaurateur.
Les lignes qui suivent ont pour seul but de retracer brièvement cette saga que vivent depuis plus de 20 ans celles et ceux qui exercent des responsabilités au sein de notre organisation professionnelle en continuant cette quête, malgré les échecs et les découragements qui ont émaillé ce parcours du combattant.
Historique.
En Belgique jusqu’en 2006, le seul moyen légal de réglementation pour une profession intellectuelle prestataire de service comme la nôtre, était de rentrer dans les critères de la loi-cadre Verhaegen du 1er mars 1976 (modifiée partiellement en 1985), le préliminaire obligatoire à toute requête de ce genre étant d’être agréé par le Ministère des Classes Moyennes comme organisation professionnelle représentative.
Notre association s’est évidemment soumise à cette procédure et a été agréée le 12 avril 1995. Nous siégeons donc depuis cette date au Conseil Supérieur des Indépendants et des PME dans la Commission Sectorielle 14 qui regroupe les professions dites techniques (Architectes, Géomètres- Experts, Architectes d’Intérieur, Experts, etc.), comme seul représentant reconnu de la profession de Conservateur-Restaurateur.
Forts de ce succès, nous nous sommes lancés dans l’aventure mais avons très vite été confrontés aux difficultés et aux lourdeurs administratives de la loi Verhaegen d’accès à la profession, qui stipule entre autre que :
« La fédération professionnelle mentionne dans sa requête le titre à protéger et définit l’activité ou les activités qu’elle entend voir organiser ; elle détermine en outre le programme et le niveau des connaissances professionnelles ainsi que la durée du stage qu’elle souhaite voir imposer.
Les connaissances requises doivent pouvoir être acquises dans des institutions d’enseignement ou de formation organisées, reconnues ou subventionnées par l’État ou par les Communautés.
La requête prévoit enfin la création d’un Institut professionnel, doté de la personnalité civile qui aura essentiellement pour mission d’établir les règles de déontologie et d’en assurer le respect. »
La loi-cadre prévoit également que : « Les personnes qui, à la date d’entrée en vigueur de la présente loi, exercent la profession réglementée dans les conditions et depuis le temps fixés par la loi, sont portées à leur demande sur une liste établie par le Bourgmestre de la commune du lieu de leur principal établissement.
Les personnes qui y figurent, participent par élection à la constitution de l’Institut professionnel et sont inscrites au tableau des titulaires sans devoir justifier de leurs connaissances professionnelles, ni de la période du stage. »
Cet Institut professionnel comprend un Conseil National ainsi que deux Chambres Exécutives et deux Chambres d’Appel.
Le Conseil National, où la parité linguistique est nécessaire, se compose de 18 membres effectifs et de 18 membres suppléants.
Les Chambres Exécutives (une francophone et une néerlandophone) se composent chacune de 6 membres effectifs et de 6 membres suppléants. Les deux Chambres d’Appel également prévues (une francophone et une néerlandophone) sont présidées par un magistrat et sont composées chacune de 4 membres effectifs et de 2 membres suppléants qui se prononcent sur les recours introduits contre les décisions prises par les Chambres Exécutives.
Il va sans dire que pour une profession comme la nôtre qui ne compte qu’un nombre relativement modeste de praticiens, les exigences de la loi Verhaegen d’accès à la profession étaient impossibles à satisfaire. Concrètement, force est de reconnaître qu’elle ne peut s’appliquer qu’à des professions comptant plusieurs milliers de praticiens notamment par le fait que l’Institut professionnel est uniquement financé par les cotisations des membres.
Nous avons bien sûr essayé de contourner ces obligations légales de diverses manières et les dispositions « allégées » dont avaient bénéficié d’autres professions comme les psychologues nous ont un temps redonné espoir de pouvoir concrétiser la chose, mais il a bien fallu se rendre à l’évidence et accepter l’idée qu’une requête d’accès à la profession dans le cadre de la loi Verhaegen était vouée à un échec certain.
Pendant plus d’une dizaine d’années, nous nous sommes donc consacrés à consolider l’image de la profession et sa crédibilité comme profession intellectuelle et libérale, tant auprès du public que des autorités, en espérant pouvoir un jour faire valoir cet acquis si une possibilité nouvelle de législation venait à voir le jour. Les réseaux ainsi tissés patiemment ont fait beaucoup pour la reconnaissance implicite de notre profession et de l’APROA-BRK dans le même temps que nous agissions également en ce sens au niveau Européen au sein de la Confédération Européenne des Organisations de Conservateurs-Restaurateurs (E.C.C.O.).
Il faut dire que nous avions placé de grands espoirs à cette époque dans le niveau supra national ; il semblait en effet naturel, au moment où l’harmonisation européenne battait son plein, de compter sur la Commission Européenne pour mettre de l’ordre dans les situations hétéroclites existantes de pays à pays et d’imposer par le haut une réglementation qui s’appliquerait à tous le États Membres y compris en matière d’exercice des professions. Hélas, nous savons tous que la voie choisie vers l’élargissement de l’UE a mis un terme à ce genre de conception unitaire et qu’aujourd’hui le principe de subsidiarité s’applique dans bon nombre de domaines y compris celui qui nous occupe, permettant à chaque État Membre de garder la souveraineté sur ses règles d’accès aux professions à condition de pouvoir justifier de leur pertinence à l’échelon national.
Toutes ces déceptions, auxquelles nous nous sommes trouvé confrontés tour à tour pendant plus d’une dizaine d’années, nous ont peu à peu convaincus qu’il y avait peu d’espoir d’aboutir un jour à quoi que ce soit.
Une lueur d’espoir.
Nous en étions à ce point de découragement quand le 24 septembre 2006, une nouvelle loi-cadre visant à réglementer non pas l’exercice de la profession mais simplement le port du titre professionnel a vu le jour en Belgique.
Réglementer uniquement le port du titre n’est bien évidemment pas aussi ambitieux que ce que nous avions souhaité au départ, mais cela nous a paru quand même constituer un pas décisif dans la bonne direction et surtout, pensions-nous, un projet réaliste comparé aux déboires vécus en essayant de nous couler dans les critères de la loi Verhaegen.
La loi-cadre Laruelle[1], puisque c’est d’elle qu’il s’agit, nous semblait bien plus à notre portée en ne prévoyant qu’un nombre limité de contraintes et d’obligations légales.
Le fait de ne réglementer que le port du titre et non pas d’instaurer des accès à la profession nous semblait aussi moins susceptible d’entraîner des confrontations avec les autres acteurs présents dans notre secteur (artistes, artisans, …) ; malheureusement, il n’en fut rien.
Dans la pratique, la loi-cadre prévoit de mettre en place une Commission Administrative composée de deux Chambres (une francophone et une néerlandophone) comprenant chacune un président juriste et quatre assesseurs (deux fonctionnaires et deux délégués du secteur professionnel) et d’établir des règles de déontologie ainsi qu’une Commission d’Appel.
Pour le reste, il suffit pour avoir droit au port du titre professionnel d’être détenteur du diplôme correspondant (à définir par le requérant) et de s’inscrire sur la liste de la Commission Administrative. Dans le cas où il n’y a pas de correspondance directe entre le diplôme et la profession, un stage professionnel peut également être prévu. Dans certains cas, une expérience professionnelle dont les modalités sont reprises dans la réglementation peut être exigée en plus du diplôme de base.
Concrètement, la requête en protection du titre professionnel peut être introduite par toute fédération professionnelle reconnue, moyennant le parrainage d’au moins une fédération interprofessionnelle représentative des professions libérales et autres professions intellectuelles et elle doit faire l’objet d’un avis (favorable) du Conseil Supérieur des Indépendants et des PME, ainsi que du Conseil de la Consommation.
Les embûches.
Pour notre association, membre fondateur de E.C.C.O. et comme elle défenderesse des principes d’une haute formation qui seule peut garantir la compétence professionnelle de base, il a toujours été inconcevable de requérir un niveau de formation inférieur au niveau du Master, à l’exception éventuelle de spécialités non disponibles à ce niveau d’enseignement.
Or, le point crucial de toute requête de ce type est évidemment de recueillir un large consensus au sein de la société civile. Il est en effet illusoire d’escompter que les responsables politiques choisiront de se mettre à dos une partie non négligeable de leur électorat potentiel en octroyant, à certains seulement, ce qui passe encore trop souvent pour des privilèges d’exclusivité mais qui est en fait le seul moyen de garantir la qualité des prestataires de service et d’éviter les formes les plus marquantes de concurrence déloyale dans un secteur d’activité. En ce qui nous concerne, il va sans dire que notre seul but a toujours été de mieux protéger le Patrimoine Culturel des dommages irréversibles causés encore si souvent par des intervenants sous-qualifiés.
Les buts les plus louables qui soient ne sont cependant pas toujours suffisants pour mettre tout le monde d’accord et il nous est vite apparu qu’obtenir un large consensus avec les autres acteurs gravitant dans l’univers de la conservation-restauration serait quasiment impossible, et ce y compris souvent par manque d’interlocuteurs représentatifs des autres composantes de la profession.
La loi prévoit évidemment l’obligation de pouvoir acquérir la formation nécessaire dans des institutions d’enseignement reconnues. Heureusement, chacune des trois Régions constituant notre État fédéral possède une école supérieure enseignant la conservation-restauration sur son territoire et la mise en place du processus de Bologne au niveau européen a grandement solutionné le problème d’homogénéité de ces enseignements, même si des disparités existent encore (aujourd’hui l’Université d’Anvers ne dispose toujours pas du Master 2) et que le problème des spécialités non enseignées reste toujours d’actualité.
Enfin, le danger d’introduire une réglementation de la profession réside aussi dans le fait qu’un grand nombre de « professionnels » ne répondant pas à nos critères de formation peuvent, lors de l’entrée en vigueur de la loi, se faire accréditer automatiquement en faisant valoir leur ancienneté. Mais cela est inhérent à la mise en place de toute forme de protection légale d’une profession et il faut bien évidemment voir plus loin que l’effet immédiat de la réglementation en comptant sur l’effet à long terme, encore faut-il en convaincre tous les confrères.
Conscients de tout cela et après avoir soigneusement pesé le pour et le contre nous avons donc, conformément aux dispositions de la loi, déposé le 7 juin 2007 notre requête en protection du titre de « Conservateur-Restaurateur d’Œuvres d’Art et de Biens Culturels »[2]. Cela avec le soutien de deux parrains : l’Union des Professions Libérales et Intellectuelles de Belgique (UNPLIB) et la Federatie voor Vrije en Intellectuele Beroepen (FVIB).
Le niveau de diplôme que nous avons requis pour l’obtention du titre est bien évidemment le niveau Master (EQF 7) tel que défini par E.C.C.O.[3] avec des aménagements pour les spécialités non enseignées à ce niveau et un régime transitoire pour les professionnels « anciens » diplômés ou non qui peuvent obtenir le titre sur simple demande. La requête propose également les règles de déontologie extraites des Professional Guidelines de E.C.C.O.
On nous prédisait une requête exemplative tant notre projet était bien ficelé, cohérent et prenant particulièrement bien en compte l’intérêt public, c’était sans compter avec les réticences de certaines Institutions publiques et de quelques dizaines d’artisans qui manifestèrent leur mécontentement et dont certains se coalisèrent pour former le groupe qui est devenu « C-R Forum ».
Le 28 septembre 2007 le Conseil de la Consommation, moyennant quelques remarques constructives, rendait un avis favorable sur notre projet[4].
En revanche, le 20 mars 2008 le Conseil Supérieur des Indépendants et des PME rendait quant à lui un avis largement négatif, arguant que cela exclurait du titre professionnel un trop grand nombre de praticiens à savoir les artisans peu ou pas diplômés.
Même certains représentants de l’ICOM[5], au lieu de nous soutenir, ont exprimé des réticences quant à la confusion possible avec le titre de Conservateur de Musée, alors que c’est précisément l’ICOM-CC qui est à l’origine de l’adoption du titre de « Conservateur -Restaurateur »[6] pour notre profession dès 1984.
Au moins faut-il reconnaître que les trois écoles supérieures dispensant en Belgique la formation ad hoc ont manifesté leur soutien à notre requête auprès de la Ministre.
Suite à ces oppositions, nous avons retravaillé par deux fois notre requête, en mai et en août 2008, avec l’aide des juristes du Service Public Fédéral Économie et le Cabinet de la Ministre, ainsi qu’avec les conseils de nos parrains l’UNPLIB et la FVIB, pour aboutir finalement à une version qui semblait susceptible de satisfaire tout le monde. Cette dernière version[7] élargissait encore les mesures transitoires et réaffirmait la complémentarité et la coexistence de notre profession avec celle d’autres acteurs travaillant dans le secteur de la conservation-restauration. Ce texte donna lieu à un projet final d’Arrêté Royal[8] par le SPF Économie le 11 mars 2009, qui n’a jamais été promulgué.
Nous avons appris plus tard que le Conseil Supérieur des Indépendants et des PME avait confirmé son avis défavorable le 29 avril 2011, prétendant qu’il n’y avait aucun élément nouveau dans notre dernier projet !
Après une dernière réunion au Cabinet de la Ministre le 19 mars 2013, une lettre officielle signée de sa main nous informait le 2 mai dernier que, selon elle, notre requête « était beaucoup trop exclusive et allait à l’encontre de sa vision d’ouverture pour la profession » !
En d’autres termes, il nous faut donc comprendre que la Ministre a conçu une loi pour donner l’assurance aux consommateurs d’avoir recours à des professionnels disposant bien d’une formation ad hoc par l’usage d’un titre professionnel qui leur soit réservé (sans pour autant empêcher qui que ce soit d’autre de travailler dans le même secteur d’activité sans ce titre), mais qu’il faudrait néanmoins, dans la pratique, permettre d’attribuer ce titre à quasiment n’importe qui ! Dans ce cas on peut légitimement se demander pourquoi légiférer, si en finale on permet à tout le monde ou presque d’accéder à la même reconnaissance et d’induire encore plus la confusion dans l’esprit du public.
Après 2013.
Notre requête est aujourd’hui au point mort et sans plus aucun espoir d’évolution sous la Ministre actuelle puisqu’il nous est impossible de réduire nos exigences en matière de diplôme. Il nous reste à espérer l’arrivée d’un nouveau Ministre, suite aux prochaines élections fédérales de mai 2014, qui sera peut-être plus attentif à l’intérêt du Patrimoine Culturel.
Reste que les dangers sont encore nombreux : on parle de la régionalisation possible des compétences en matière d’accès à la profession, qui cesseraient dès lors d’être fédérales avec les difficultés supplémentaires qui en découleraient.
La possibilité aussi que sous une autre législature, la loi-cadre Laruelle soit détricotée dans la mesure où depuis son entrée en vigueur en 2006, aucune profession n’a réussi à se faire valider.
Enfin, nul doute que le contexte général européen n’est pas favorable à l’introduction de plus de réglementation, tant il est vrai que la Commission Européenne persiste à considérer toutes formes de régulations professionnelles comme des barrières à la libre circulation des professionnels dans l’Union et à mettre la pression sur les États Membres afin qu’ils déréglementent davantage au lieu de renforcer les conditions d’exercice et de port de titre professionnel.
Remerciements.
Tous mes remerciements vont à Alain de Winiwarter pour l’aide apportée à la rédaction de cet article et pour son engagement indéfectible à la cause de la reconnaissance de notre profession en Belgique ainsi qu’à tous les autres membres successifs du Conseil d’Administration de l’APROA-BRK qui ont porté et soutenu ces projets de réglementations durant toutes ces années.
Michaël Van Gompen, Président de l’APROA-BRK,
Novembre 2013.
[1] Voir texte sur : http://www.ejustice.just.fgov.be/cgi_loi/change_lg.pl?language=fr&la=F&table_name=loi&cn=2007080356
[2] Voir Moniteur Belge du 28 septembre 2007
[3] Voir E.C.C.O. « Professional Guidelines I & III » sur : www.ecco-eu.org
[4] Voir avis sur : http://economie.fgov.be/fr/binaries/389_tcm326-41931.pdf
[5] Conseil International des Musées
[6] ICOM-CC « Conservateur-Restaurateur : une définition de la Profession », Copenhague 1984
[7] Voir Web site APROA-BRK « Projet de protection du titre professionnel » sur : www.aproa-brk.org
[8] Voir Web site APROA-BRK « Projet de protection du titre professionnel » sur : www.aproa-brk.org